jeudi 4 juillet 2013

Projet de couverture

Un projet de couverture en cours pour les Aventures du Chevalier Sans-Nom (et de Gilbérald, son fidèle écuyer)

vendredi 21 juin 2013

Les aventures du Chevalier Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #6


Guidés par Yam, il ne nous fallut que quelques minutes pour arriver à la chaumière de la vieille sorcière. Mais on ne pouvait s’y tromper: c’était un vrai repaire de pythie malfaisante, lugubre à souhait, des chauves-souris s’échappant des moindres recoins. D’aspect délabré, elle aurait pu sembler abandonnée si ce n’était cette fumée verdâtre qui s’échappait de la cheminée.
Nous traversâmes le petit jardin, et si les ronces qui l’envahissaient semblaient n‘avoir pour seul jardinier que l‘Anarchie, il n’en était rien, et nous nous aperçûmes bientôt qu’elles avaient été habilement placées de telle manière qu’il était impossible au visiteur des les éviter. C’est donc les jambes écorchées de toutes parts que nous atteignîmes tant bien que mal la porte.
Un petit écriteau, qu’un vieux clou rouillé tentait de retenir, indiquait: « Vieille Serpillière, sorcière. Frappez fort avant d’entrer ».
Sans plus attendre, je frappai fort. Mon coup sur la porte en chêne massif ne rendit aucun son. Mon cri de douleur, par contre, ne manqua pas d’alerter la maîtresses des lieux.
-Entrez! nous lança une voix râpeuse.
La porte s’ouvrit tout doucement,  prenant visiblement un grand plaisir à grincer de tous ses gonds. Je poussai alors Gilbérald, mon fidèle écuyer, dans  la salle obscure qui se présentait à nous.
-C’est bon, dis-je, il semble qu’il n’y ait pas danger.
Les ténèbres qui régnaient dans la pièce étaient à peine dérangées par la lueur dansante du feu de la cheminée, au-dessus duquel était suspendue une grosse marmite d’où s’échappait en gerbes bouillonnantes une étrange mixture verte qui faisait crépiter les flammes. Des toiles d’araignée pendaient ça et là en grappes fantastiques. Les étagères poussiéreuses se trouvaient encombrées d’alambics et de bocaux de toutes sortes, dans lesquels fermentaient des serpents, des lézards et de la liqueur de cassis. Confortablement installé sur un perchoir biscornu, un hibou nous observait de ses grands yeux et faisait hou hou, comme ça. 
La vieille Serpillière, quant à elle, se tenait tordue devant une lourde table érodée par le temps, occupée à prélever la bave d’un crapaud plus ou moins consentant. Elle leva la tête à notre arrivée, et ses yeux vitreux nous dévisagèrent un instant.
-Encore toi! cracha-t-elle à l’adresse de Yam. Je ne peux rien pour toi, je te l’ai déjà dit! Ma boule de cristal est toujours en panne.  
-Cette fois-ci, ce n’est pas pour moi. Je vous amène juste des voyageurs qui vous cherchaient afin de bénéficier de votre science de guérison.
Je lui présentai Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Il s’est bêtement blessé avec une flèche empoisonnée, là, dans l’épaule, et douillet comme il est, il ne lui en a pas fallu plus pour se retrouver dans cet état de délabrement avancé.
La vieille Serpillière considéra Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Il n’a effectivement pas l’air bien en forme. Le mal en est a un stade avancé. Je pense cependant pouvoir faire quelque chose pour lui, mais les ingrédients nécessaires à son salut sont rares, et mon intervention n’est pas gratuite.
Elle fourra ses doigts décharnés dans sa bouche, d’où elle extirpa un gros asticot encore grouillant, qu’elle avala aussitôt.
-Je déteste avoir des restes de repas coincé entre les dents, grogna-t-elle. Bon, ça vous fera cent écus.
-Mais c’est très cher, ça! sursautai-je.
-Et non remboursable par la Sécu, ajouta-t-elle. Mais il est inutile de marchander, c’est à prendre ou à laisser.
-Tu vois ce que me coûtent tes bêtises, Gilbérald, mon fidèle écuyer! Mais sois assuré que je retiendrai tout ça sur ton salaire!
A contrecœur, je sortis cent écus de ma bourse. La vieille femme les happa avidement et se mit à les compter. Puis, satisfaite, elle se dirigea vers le malade et commença à l’ausculter comme seules les sorcières savent le faire.
-Dites 33! Tirez la langue! Toussez! Arrêtez de respirer! Donnez-moi votre bras! Fermez les yeux! Penchez la tête! Respirez! Debout! Assis! Couché! Respirez, j’ai dit !
Après avoir donné son sususcre à Gilbérald, mon fidèle écuyer, elle se retourna vers nous.
-Alors, c’est grave? demandai-je. Ne nous épargnez pas les détails, nous avons besoin de savoir!
-Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il survivra. Par contre, je ne sais pas dans quel état! Bien entendu, la maison décline toute responsabilité en cas d’effets secondaires indésirés, et le prix convenu ne saurait faire l’objet d’aucune réclamation.
-Ne vous inquiétez pas, dis-je. Il n’était déjà pas bien normal avant, cela ne saurait être pire!
La vieille Serpillière se retira dans sa réserve, et après un court instant, en ressortit en possession d’un petit flacon de verre opaque, contenant, m’assura-t-elle, un contre-poison de sa composition capable de venir à bout des venins et des toxines les plus redoutables, qu’ils soient connus ou inconnus. Si nous suivions bien toutes ses recommandations et que nous ne dépassions pas la dose prescrite, Gilbérald, mon fidèle écuyer, devrait être rétabli sous cinq jours.
-Cinq jours! m’écriai-je. Mais c’est horriblement long, ça! J’ai une quête à accomplir, moi, et nous n’avons déjà perdu que trop de temps! Je ne peux pas me permettre de m’encombrer d’un écuyer en plein délire, il nous retarderait!
-Ca, dit la vieille sorcière, c’est votre problème.
-Vous ne pouvez pas le garder ici le temps qu’il guérisse?
-Pardon?
-Vous verrez, il est très propre, et très affectueux avec tout ça! Bon, un peu maladroit, et totalement inutile, mais...
-Ce n’est pas un hôtel, ici! vociféra-t-elle. Et maintenant, déguerpissez avant que je ne décide de vous transformer en vers de terre!!
La condition de ver de terre ne me semblant pas être la forme la plus adaptée au bon déroulement de ma mission, je ne discutai point, et suivi de mes compagnons, je m’éloignai le plus rapidement possible de la chaumière. Nous ne tardâmes pas à réintégrer le chemin qui devait nous mener hors de cette forêt maudite.
Arrivé là, je fis boire une gorgée de contre-poison à Gilbérald, mon fidèle écuyer. Le breuvage semblait être efficace, puisque notre malade perdit aussitôt sa teinte mauve et cessa de délirer.
-Il est déjà guéri? demanda Roger.
-Je ne crois pas, non, dit Yam. La vieille Serpillière a bien dit qu’il fallait attendre cinq jours avant la guérison complète.
-Tu as sans doute raison, mon garçon, ajoutai-je. Il ne semble d’ailleurs pas avoir repris totalement ses esprits, ce qui tendrait à prouver, contre toute attente, qu‘il en avait autrefois.
Gilbérald, mon fidèle écuyer, gardait en effet les yeux fixés dans le vide et affichait un sourire béat
-Bon, espérons qu’il ne soit pas une trop lourde entrave à notre avancée. Eh bien, Yam, je suis ravi d’avoir fait ta connaissance, mais nous n’allons pas nous éterniser ici plus longtemps...
-Chevalier, me dit-il alors, je comptais vous demander la permission de vous accompagner un bout de chemin, le temps du moins que Gilbérald se rétablisse et puisse me mettre sur les traces de l’assassin de mon père. Je suis sûr qu’il sait quelque chose!
-Eh bien soit, mon jeune ami! Mais notre voyage risque de ne pas être de tout repos! Il est juste que tu en sois informé.
-Le danger ne m’effraie pas, vous verrez, et sans doute ne serai-je pas de trop s’il se fait trop pressant!
L’avenir n’allait pas tarder à lui donner raison. Nous quittions la forêt des Maléfices sans regrets, mais nous ne nous doutions pas que les multiples périls auxquels nous avions dû faire face jusqu’à présent n’étaient que récréation et divertissement en comparaison des épreuves qui nous attendaient sur la route de Czxywitzcultac.

* * * * * * * *

Trois jours s’étaient cependant écoulés sans qu’aucun incident ne vienne perturber le cours de notre route. Le remède de la vieille Serpillière accomplissait lentement son oeuvre, et Gilbérald, mon fidèle écuyer, recouvrait peu à peu ses facultés, si tant est qu’on put appeler ainsi ce qui lui en tenait lieu. Ses crises étaient de moins en moins fréquentes, et Yam achevait de compléter le traitement par ses bons soins. Le jeune homme nous avait donné plus de précisions sur les circonstances tragiques de la mort de son père, lâchement abattu d’un coup d’épée dans le dos par un homme dont il ne connaissait qu’une seule particularité: il avait une oreille plus grande que l’autre, signe distinctif peu courant et sur lequel il comptait indéfectiblement pour identifier le meurtrier.
Nous traversions alors une région fort agréable, parsemée de collines et de petits bois, que traversaient de nombreux cours d’eau, mais que je ne parvenais pas à trouver sur la carte. Je ne me suis du reste jamais beaucoup fié à ces  illustrations d’atlas tout justes bonnes à induire le voyageur en erreur, leur préférant sans conteste mon indéniable sens de l’orientation.
La nuit s’apprêtait à tomber. Déjà, le soleil disparaissait derrière les collines et les nuages prenaient les teintes mauves du soir. Les lointaines lumières d’une ville furent donc les bienvenues, et furent accueillies comme les promesses d’un repas chaud et d’une nuit douillette. Nous nous hâtâmes de les rejoindre avant que la nuit ne soit trop avancée.
Arrivés aux portes de la ville, nous dûmes soutenir l’examen minutieux du portier, dont la lanterne éclairait nos visages d’une lueur blafarde mais non moins inquisitrice.
-Vous êtes des voleurs? nous demanda-t-il d’un ton suspicieux.
-Assurément non! répondis-je.
-Vous pouvez passer, alors, dit-il dans un soupir de soulagement. Je vous souhaite un agréable séjour dans notre ville, en vous priant de bien vouloir m’excuser pour les désagréments qu’a pu causer cet interrogatoire portant sur des questions certes personnelles, mais qui n’avait d’autre but que d’assurer votre sécurité!
-Nous comprenons, dis-je. Vous ne pouvez laisser entrer n’importe qui, c’est tout à fait normal!
-Il y a beaucoup de voleurs dans la région? demanda Yam.
-Beaucoup, non,. Mais depuis quelques temps, le bruit court que la terrible Jehanne et son inquiétant complice, le Chat Ninja, rôdent dans le pays.
Un frisson parcourut Roger. Jetant un regard inquiet derrière lui, il ne put s’empêcher de répéter d’une voix faible:
-Jehanne et le Chat Ninja!
-Tu as déjà entendu parler d’eux, mon bon Roger?
La visible frayeur de mon compagnon, lui d’habitude si brave, ne manqua pas de m’ébranler. Le portier se pencha vers nous et la lumière de sa lanterne lui donna l’air d’un conspirateur.
-Ce sont des êtres étranges et mystérieux, nous dit-il dans un souffle à peine audible. D’aucuns prétendent qu’il s’agit de deux démons sortis des Enfers pour accomplir les desseins démoniaques du Malin. Personne ne connaît leur visage. Ils apparaissent et disparaissent à leur gré, et on prétend même qu’à l’instar de Kijaï, le fabuleux héros de nos légendes, ils seraient immortels! Leur tête a été mise à prix par de nombreux seigneurs, mais aucun chasseur de primes n’a encore réussi à les débusquer... Mais ne soyez pas inquiets, tant que je serais le gardien de cette ville, ils n’en verront jamais rien d’autre que ses murailles!
Roger n’était rassuré qu’à moitié, mais nous décidâmes qu’il était tout de même plus prudent de dormir dans l’enceinte de la ville qu’au dehors. Nous n’eûmes pas trop de peine à trouver une auberge, à quelques rues de là. Son enseigne, quelque peu originale, représentait un homme tout vert près à vomir, et elle avait pour nom « A La Bouffe Infâme ».
-Celle-ci m’a l’air très bien, dis-je.
A peine avions-nous franchi la porte qu’un  gros monsieur au nez rouge s’empressa de nous accueillir.
-Bonjour, messires! Que puis-je pour vous?
-Nous souhaiterions une chambre pour la nuit!
-Désirez-vous manger également?
-Volontiers, nous avons fait une longue route aujourd’hui
Il remarqua alors Gilbérald, mon fidèle écuyer, dont le teint verdâtre restait encore tributaire des derniers effets du poison.
-Tiens! fit l’aubergiste, étonné. Votre visage m’est inconnu, et pourtant on jurerait que vous êtes un habitué de la maison.
Il appela un jeune garçon à la mine taciturne.
-Clopin va vous montrer votre chambre.
Clopin nous fit monter à l’étage et nous présenta notre chambre: petite mais suffisamment confortable pour une nuit . Elle contenait deux paires de lits superposés, ce qui fut cause d’un léger conflit quand se posa la question de savoir qui allait prendre les lits du haut. Ce détail fut réglé à la courte-paille, et après avoir couché Gilbérald, mon fidèle écuyer, nous descendîmes dans la salle à manger.
Il y avait monde, ce soir-là, à l’auberge de la Bouffe Infâme, mais nous parvînmes à trouver une table libre dans un coin de la salle. La pièce enfumée était emplie de rires et de chants. Seul un petit groupe de Poules Masquées, tribu belliqueuse s’il en est, se tenait à l’écart, jetant des regards hostiles autour d’elles.
L’aubergiste vint prendre notre commande. Cette auberge, nous assura-t-il, avait la particularité de ne proposer que des plats immangeables.
-Avec nous, nous assura-t-il d’un air solennel, c’est non satisfait ou remboursé!
Yam préféra ne rien prendre, Roger se risqua à commander une soupe, et ce fut pour moi l’occasion ou jamais de goûter aux saveurs d’un « intestin de chameau farci aux yeux de crapauds et son coulis de fraises périmées »
-Excellents choix! Vous ne trouverez jamais rien de semblable ailleurs! affirma l’aubergiste.
-J’espère bien, dit Yam.
Nos plats ne tardèrent pas à être prêts.
-Bien, je vous souhaite un mauvais appétit! N’hésitez pas à vous servir, si le cœur vous en dit, des petits sacs placés sous vos chaises.
-Dites donc! fit Roger. Il y a une mouche dans ma soupe!
-Oui, mais ne vous inquiétez pas! Elle est comprise dans le prix!
Roger, en amoureux des bêtes qu’il était, préféra laisser la mouche barboter tranquillement dans sa soupe. Quant à moi, je ne fis qu’une bouchée de mon intestin farci. Mes compagnons me regardèrent manger d’un air où se mêlaient l’admiration et le dégoût.
-Comment pouvez-vous avaler ça, monseigneur?! me demanda Roger.
-Tu sais, mon bon Roger, « ventre affamé n’a pas d’oreille! », comme on dit.
Il me regarda de biais un instant, puis haussant les épaules, se plongea dans la contemplation de la mouche occupée à faire ses brasses.. Il fabriqua même, au grand bonheur de l’insecte, un petit plongeoir avec sa cuillère, et la mouche eut le temps de perfectionner son double salto avec triple vrille avant que l’aubergiste ne revienne.
-Alors?
-Vous aviez raison, dis-je. C’était vraiment dégueulasse!
-Mais... sursauta-t-il. Vous avez tout mangé?!
-Vous savez, « ventre affamé n’a pas d’oreille ».
-C’est la première fois que je vois quelqu’un finir son assiette!
-Et vous faites beaucoup d’affaires? demanda Yam.
-Non, pas vraiment! dit l’aubergiste en riant. Il faut bien dire que nous ne revoyons jamais deux fois le même client. Certains partent même sans payer, sans compter ceux qui veulent qu’on les rembourse!
Comme pour confirmer ses propos, trois rudes gaillards s’approchèrent de lui et l’un d’eux le souleva par le col.
-Tu vas nous rembourser notre repas! grogna-t-il.
-Qu’est-ce que je vous disais! nous lança l’aubergiste. En plus, ceux-là n’ont même pas encore payé!
 Ne pouvant tolérer un tel comportement, je me levai, et une lueur menaçante dans le regard, je vins défier les trois brutes.
-Je vous conseille de lâcher cet homme, manants, ou vous aurez affaire à moi!
-Reste en dehors de ça, mon gars!
-Vous ne m’impressionnez pas! leur assénai-je. J’en ai terrassé des plus forts que vous!
Ils me considérèrent en ricanant, et le plus petit des trois, qui me dépassait d’un bon mètre, prit une table en chêne massif entre ses bras et, les resserrant tels un étau, la brisa sans aucun effort.
-Remboursez-les, aubergiste ! dis-je.
-Jamais !
Celui qui le tenait le lança alors au travers de la pièce, et il alla s’écraser sur la table des Poules Masquées, qu’un homme avait rejointes entre temps. Les Poules se dispersèrent en piaillant.
-Et maintenant ? rugit le géant.
-Vous feriez mieux d’en rester là avant que ça ne tourne mal, dit Yam. Pour vous, bien entendu !
Le colosse se tourna vers le jeune garçon, et il le domina de toute sa masse imposante.
-C’est à nous que tu parles, freluquet ?
Yam ne lui laissa pas l’occasion d’en dire plus. Il me sembla que son poing ne s’abattit qu’une seule fois, et pourtant les trois hommes s’écroulèrent à ses pieds, assommés. Le silence régnait dans la salle, puis les conversations reprirent peu à peu, mais Yam allait être à présent au cœur de celles-ci pour de longues semaines.
-Merci, mon garçon! dit l’aubergiste en se relevant. A vous voir, on ne vous prêterait pas une aussi grande force. Ces trois-là n’étaient pas des mauviettes!
L’homme qui parlait avec les Poules Masquées s’invita alors à notre table. Il était plutôt bien bâti, dans la force de l’âge, carré d’épaules, avec un large cou supportant une tête échevelée, mal rasée, une longue balafre achevant de lui donner un air farouche.
-Je vous offre quelque chose? demanda-t-il.
-Non merci, fit Yam, méfiant.
-Il est vrai que cette auberge porte plutôt bien son nom, dit l’homme. Allons dans celle d’en face, je pense qu’elle est d’une autre qualité.
L’auberge en question s’appelait « Au Petit Gourmet, Auberge d‘une Autre Qualité que Celle d‘en Face», et nous fûmes bientôt attablé devant un somptueux repas.
-Votre force est impressionnante! commença le balafré.
-Je sais, dis-je. Et encore, vous n’avez rien vu!
-Je parlais du jeune garçon!
-Ah, oui, il n’est pas mauvais non plus.
-Et en quoi cela vous intéresse-t-il? demanda Yam.
-J’ai un travail à vous proposer. Voilà, je suis chasseur de primes, peut-être avez-vous entendu parler de moi, je suis plutôt assez connu sous le nom de La Girafe.
Yam se leva de table.
-C’est un milieu que je ne fréquente guère, et je tiens à ce que cela reste ainsi.
-Vous avez tort. Il y a énormément d’argent à la clef!
-L’argent ne change rien à l’affaire!
-Nous sommes vos hommes! dis-je.
-De quoi s’agit-il? demanda Roger.
-Je suppose que vous avez entendu parler de Jehanne et du Chat Ninja.
Roger se leva à son tour.
-Oui, justement:
-A nous tous, dit le chasseur de primes, nous en viendrons facilement à bout. Ils ne sont sûrement pas aussi terribles que ça.
-Ils sont immortels!
-Ce ne sont que des contes pour faire peur aux enfants. L’homme qui m’a engagé a eu affaire à eux, et il m’a certifié qu’ils étaient aussi mortels que vous et moi.
-Comme vous le dites si bien, nous sommes mortels!
-Pour quel seigneur travaillez-vous? demanda Yam.
La Girafe le considéra d’un oeil mauvais.
-Cela ne vous regarde pas, du moment qu’on vous paye!
-Avez-vous entendu parler d’un homme dont une oreille est plus grande que l’autre?
A ces mots, le chasseur de primes se leva en donnant un coup de pied dans la table.
-Aïe aïe ouille ! s’écria-t-il en sautant à cloche-pied autour de la table qui n’avait pas bougé d’un poil.
-Des subterfuges aussi grossiers ne prendront pas ! dit Yam en souriant. Maintenant, répond à ma question !
-Oh ! s’exclama La Girafe. Derrière vous !
 Le temps de nous retourner et La Girafe avait disparu. Yam était furieux.
-Il s’est enfui!
-Ah ben oui, tiens ! dis-je. Comment a-t-il fait ?
Le jeune garçon ne tenait plus en place.
C’est alors que je remarquai, dans le coin le plus obscur de la pièce, deux ombres encapuchonnées. Se glissant jusqu’aux tréfonds de mon âme, deux yeux de chat, brillants d’une lueur malveillante, me scrutèrent avec insistance.
-Sortons, dis-je, mal à l’aise.
Comme je me retournais une dernière fois avant de quitter la salle, je pus remarquer que les deux hommes avaient disparu. Pourtant, comme si leur reflet n’avait pu se détacher de l’ombre dans laquelle ils étaient tapis une minute auparavant, les yeux de chat semblaient continuer à me dévisager.

Ma nuit fut longue et agitée, parcourue de rêves malsains et inquiétants, dans lesquels des yeux de chameau m‘observaient du haut d‘un cou de girafe, et je me promis de me faire rembourser mon repas dés les premières lueurs du jour.

lundi 17 juin 2013

Les aventures du Chevalier-Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #5



A mesure que nous nous enfoncions dans la forêt des Horreurs, l’obscurité devenait plus dense, l’air plus lourd, et Gilbérald, mon fidèle écuyer, plus bleu. Le lieu offrait une ambiance des plus macabres, qui empoisonnait notre imagination et entamait notre raison. Les chevaux étaient nerveux, et nous avions toutes les peines du monde à les faire avancer. Ils tressaillaient au moindre son, au moindre souffle dans les buissons. Le mien fut le premier à succomber, des suites d’une crise cardiaque provoquée par le bruit malencontreux d’une brindille qu’il brisa lui-même sous son sabot. Quant à celui de Gilbérald, mon fidèle écuyer, la tension qui se dégageait de la forêt le rendit fou. C’est du moins ce qu’il nous parut quand nous le vîmes subitement grimper dans un arbre et se jeter de la plus haute branche en agitant désespérément les pattes. Il réussit même à lancer quelques petits gazouillis avant de lamentablement s’écraser par terre.
Nous fûmes donc obligés de continuer notre route à pied, nous frayant tant bien que mal un passage à travers l’enchevêtrement de branchages qui encombrait le chemin. Le bruit de nos pas, étouffé par le lit de feuilles mortes qui tapissait l’humus, rendait le silence d’autant plus oppressant.
-Je commence à me demander si j’ai bien fait de vous accompagner, me dit Roger, que le son de sa propre voix fit sursauter.
-Ne t’inquiète pas, le calmai-je. Tant que tu restes à mes côtés, il ne peut rien t’arriver.
Il jeta un bref coup d’œil à Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Je vois ça. Mais nous sommes en plein milieu du domaine du cyclope Inette, et s’il venait à attaquer…
-Tu t’en fais donc pour si peu ? Je suis un chevalier, ne l’oublie pas, et en tant que tel, j’ai suivi un entraînement spécial ! Je me rappelle comme si c’était hier du cours que notre maître d’armes nous fit à propos des combats contre les cyclopes. Il est très important par exemple de toujours l’affronter avec le soleil dans notre dos, car leur unique œil est très sensible à la lumière.
Roger regarda autour de nous. L’obscurité était plus épaisse que jamais.
-Oui, bon, fis-je. Il y a encore tout un tas de manières de prendre l’avantage sur un cyclope. Et puis, au besoin, nous pourrons toujours lui laisser Gilbérald, mon fidèle écuyer, pour faire diversion.
-Ca, c’est un bon plan, monseigneur ! En plus, j’ai entendu dire que le cyclope Inette aimait la viande bien bleue. Votre écuyer est juste à point.
Je me mis à scruter les arbres attentivement, car il me semblait entendre un grondement sourd et régulier.
-Méfions-nous, chuchotai-je. Les cyclopes sont très sournois, et ne connaissent rien des règles de chevalerie et des bonnes manières au combat.  Il n’hésiterait pas, je suis sûr, à nous tendre un piège, à nous attaquer par derrière, ou pire, à profiter lâchement de notre sommeil pour nous égorger. Car dis-toi bien que c’est très lâche, un cyclope !
A peine avais-je achevé ma phrase que nous vîmes, étendu de tout son long au beau milieu de la route, un énorme cyclope endormi, dont le ronflement m’avait alerté quelques minutes auparavant.
-C’est sûrement lui ! fit Roger en pâlissant.
-Alors laisse-moi faire, mon ami. Il est temps pour moi de voir si les heures passées en cours n’ont pas été perdues en vain. Je vais te le terrasser, moi, ce cyclope !
-Soyez prudent, tout de même, monseigneur.
-Calme tes craintes, mon bon Roger, mais parle moins fort quand même.
Je m’approchai silencieusement du monstre, et je me hissai jusqu’à sa tête. Son haleine fétide faillit presque me faire défaillir. Mais je restai bien ferme sur mes assises, et prenant mon épée à deux mains, je lui tranchai la gorge d’un geste net et précis. Le cyclope ouvrit l’œil, me considéra un instant avec une surprise qui se transforma en stupeur à la vue de son sang qui lui sortait de la gorge à gros bouillons. Ce fut plus qu’il n’en put supporter, et il expira dans un gargouillis à peine audible. Voilà comment fut terrassé le plus terrible monstre des environs, le cyclope Inette, qui plus jamais ne terroriserait personne.
-Alors là bravo, monseigneur ! s’écria Roger. Vous vous êtes bien battu ! C’était très impressionnant !
-Bah, fis-je. Le combat auquel tu viens d’assister n’est que futilité, pour nous autres chevaliers. « Défends la veuve, sauve l’orphelin, mange ta soupe et dis bonjour à la dame », telle est notre devise.
Mais l’heure n’était pas aux congratulations, car tout portait à croire que le poison qui rongeait mon pauvre Gilbérald, mon fidèle écuyer, arrivait à terme.
-Il n’a plus beaucoup de temps à vivre, me confia Roger, l’air visiblement peiné. C’est bien dommage. Mais s’apitoyer sur le sort des morts et ressasser le passé ne sert à rien. La vie continue, et si vous avez besoin d’un écuyer, soyez sûr, monseigneur, que je remplirai ce rôle avec joie.
-Brave homme ! fis-je, au bord de l’émotion.
Deux heures plus tard, au prix d’incroyables efforts, nous étions arrivés à l’orée de la forêt des Horreurs, qui était également celle de la forêt des Maléfices. Mais là encore, une épreuve nous attendait. Un grand chevalier en armure noire se tenait au beau milieu du chemin, les mains fermement posées sur le pommeau de son épée solidement fichée dans le sol.
-Holà, messires ! nous lança-t-il. Un instant !
-Nous n’avons rien à déclarer, dis-je. Laisse-nous passer !
-Si vous voulez continuer votre route, il vous faudra me payer le droit de passage. Sinon, vous n’avez plus qu’à rebrousser chemin.
-Je suis en mission spéciale, sur ordre du Roi. Tu dois me laisser passer !
-Si tu veux passer sans payer, chevalier, je respecterai ton choix sans te poser plus de questions. Mais alors il te faudra me combattre.
Il leva son épée, et après l’avoir fait tournoyer au dessus de sa tête, il la tendit vers moi, pointe en avant.
-Combien je vous dois ? demandai-je en sortant mon porte-monnaie.
-Cinq mille écus !
-C’est une honte ! m’écriai-je. Rançonner ainsi les honnêtes gens !
Il me menaça de son épée.
-On ne pourrait pas marchander un peu ? hasardai-je.
-Pas question ! Je ne suis pas un vulgaire marchand de tapis ! Bats-toi, si tu n’as pas assez d’argent !
-Allons, allons, ne nous énervons pas.
-Allez ! me cria-t-il. Viens te battre, si t’es un homme !
-La violence n’a jamais rien réglé, vous savez !
-Tu as peur ! Tu es un lâche ! Ouh, le lâche !
Cette fois, c’en était trop ! Dieu m’est témoin que j’avais tout fait pour éviter d’en arriver là, mais il ne ma laissait pas le choix. Il me fallait faire demi-tour.
-Allez-y !me lança Roger. Montrez-lui qui vous êtes !
-C’est que…
-C’est ça ! cria le chevalier noir. Montre-moi qui tu es !
Il brandissait son épée en sautillant comme un fou, le regard dément, complètement possédé par le démon de la bataille. Il s’approcha de moi et me donna un coup de pied dans le tibia.
-Aïe ! Ca va pas la tête !
-Bien fait ! Ah ah ah. Ta mère en short devant le donjon !
Malgré moi, je sortis mon épée de son fourreau, et je me préparai au combat. Voyant cela, le chevalier noir sembla hésiter.
-Ah ! fit-il. Euh… vous avez l’intention de vous battre ?
-Puisqu’il le faut !
-Ah bon ! Alors je me rends, vous avez gagné. Bravo ! Vous avez été le plus fort, je ne faisais pas le poids. C’était un beau combat, vraiment !
Roger était au comble de l’étonnement.
-Mais, dit-il, vous n’avez même pas commencé !
-Tais-toi, lui dis-je. Tu n’y connais rien. Puisqu’il dit que je suis le plus fort !
Le chevalier noir se rangea sur le côté, et s’inclinant, nous invita à poursuivre notre route.
Une fois de plus, je sortais victorieux d’un combat durement mené. Forts de cette nouvelle victoire, nous étions à présent dans la forêt des Maléfices, où vivait la vieille sorcière qui elle seule pouvait sauver Gilbérald, mon fidèle écuyer. Mais allions-nous la trouver à temps, ou allait-il mourir stupidement dès le début de l’histoire ?

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Les heures s’écoulaient inexorablement, et nous n’avions encore trouvé aucun indice pouvant nous renseigner sur la présence d’une éventuelle sorcière. Je commençais à sérieusement douter de son existence. Je regardai tristement Gilbérald, mon fidèle écuyer, puis je me tournai vers Roger, et je me dis qu’il ferait assurément un très bon écuyer.
-Tu es sûr que c’est par là ?
-Ben non, pas vraiment, dit-il. Vous savez, monseigneur, la forêt est vaste, et je n’y suis pas venu très souvent. J’ai bien peur que nous n’arrivions trop tard.
Gilbérald, mon fidèle écuyer, commençait à délirer. Il se prenait tour à tour pour un écureuil et une noisette, et il se mordait régulièrement le bras à pleines dents en poussant des petits squick squick.
-On n’a pas idée, non plus ! grognai-je, agacé. Est-ce que je me fais transpercer l’épaule par une flèche empoisonnée, moi !?
Le silence de la forêt fut alors déchiré par un formidable craquement. Un arbre venait de s’abattre bruyamment non loin de nous.
-Tiens, fis-je. Il y a donc des bûcherons qui travaillent dans cette forêt ?
-Ne trouvez-vous pas que le bruit se rapproche dangereusement, monseigneur ? me fit remarquer Roger.
Sa phrase se transforma en cri apeuré quand deux arbres gigantesques s’abattirent sur nous. Nous fûmes ensevelis sous leurs ramures entremêlées.
-Ah ça !m’écriai-je en tentant de m’extirper de cette prison inattendue. Qui donc s’amuse à nous faire tomber des arbres sur la tête ?
Je crus alors apercevoir, glissant prestement entre les arbres, la silhouette gracieuse d’une jeune fille à la peau brune, dont les yeux me lancèrent un éclair aussi bref qu’inquiétant. Ce ne fut que le temps d’un battement de cil, et j’attribuai cette vision au choc que je venais de subir. Par contre, le cyclope qui se tenait devant moi, vigoureusement campé sur les deux piliers qui lui tenaient lieu de jambes, était bien réel. La grossière massue avec laquelle il tenta de m’écraser aussi, mais il ne réussit qu’à réduire quelques branches en petit bois, et je m’en allai promptement rejoindre Roger sous les feuillages, abris désespéré et bien dérisoire face aux assauts furieux du monstre.
-Ca alors ! murmurai-je. On aurait dit le cyclope Inette. Mais c’est impossible, je l’ai tué !
-C’est son esprit qui revient pour se venger, grelotta Roger.
-Squick squick, se mordit Gilbérald, mon fidèle écuyer.
Le cyclope souleva le tronc qui nous abritait comme il l’aurait fait d’un fétu de paille et l’envoya par dessus les cimes. Nous l’entendîmes chuter lourdement dans un craquement sinistre à plusieurs dizaines de mètres de là. Le colosse nous dévisagea de son œil unique, et un horrible rictus déforma son visage pourtant fort laid au naturel. Roger se jeta à ses pieds, les mains tendues en avant dans une ultime supplique.
-Epargnez-moi, monsieur l’esprit du cyclope Inette ! se lamenta-t-il. Ce n’est pas moi qui aie eu l’idée de vous tuer ! C’est lui ! A vrai dire, j’étais même plutôt contre.
Roger essayait de gagner du temps, et je ne pus que saluer son courage. Mais le cyclope, semblant prêter foi à ses dires, se tourna vers moi. Son haleine méphitique me convainquit qu’il ne s’agissait pas là d’un fantôme.
-Ne t’inquiète pas, mon bon Roger, dis-je. Ce n’est pas un fantôme, c’est un vrai cyclope.
Et la vérité m’apparut dans toute son indécente nudité : c’était le frère jumeau d’Inette qui se tenait là devant moi, frère caché au monde jusqu’à présent, sans doute pour d’obscures raisons d’héritage. Le monstre leva son énorme massue, et je sentis que ma dernière heure était venue. J’allais bientôt comparaître devant le créateur de toutes choses, la tête basse et passablement écrabouillée, sans avoir pu mener à bien la mission pour laquelle il m’avait investi. L’arme s’abattit sur moi avec toute la force et la sauvagerie dont était capable un tel monstre.
Mais la masse stoppa net à quelques centimètres de mon front. Ouvrant les yeux, je constatai non sans surprise qu’elle avait été arrêtée par un jeune garçon. Sa force semblait toutefois surhumaine puisqu’un seul bras lui avait suffit pour réaliser cet exploit.
Il arracha alors la massue des mains du cyclope et la brisa en deux. Tout d’abord effaré, le monstre s’apprêtait à réagir, mais le garçon ne lui en laissa pas le temps: d’un seul coup de pied, il l’envoya dans les cieux, où il ne fut bientôt plus qu’un point minuscule, puis il disparut pour toujours. Ainsi finit le frère jumeau caché du cyclope Inette.
Le jeune garçon se tourna vers moi, un grand sourire se dessinant sur ses lèvres:
-Je vous prie de m’excuser, chevalier; dit-il. Je me suis interposé dans votre combat sans votre permission.
-Tu es jeune, mon fier et impétueux ami, mais je l’ai été avant toi. Je ne t’en tiendrai donc pas rigueur. Sache cependant, comme l’expérience me l’a moi-même appris plus d’une fois, que la limite entre audace et inconscience est vite franchie. Si tu avais bien observé mon combat contre ce cyclope, tu aurais noté que j’avais la situation bien en main, et il s’en est fallu d’un cheveu que tu ne sois pris dans la violence de ma contre-attaque! Fort heureusement, je me suis retenu à temps, mais cela aurait pu t’être fatal!
-Je n’avais pas remarqué, en effet! Pardonnez ma folie!
-Que cela te serve de leçon! Ceci dit, ta technique me semble assez intéressante. D’où te vient cette force?
Sa figure s’illumina. Ses cheveux en mèches folles lui retombaient sur les yeux malgré le bandeau qui les ceignait. Il avait l’air honnête et loyal, mais on avait déjà vu des loups se déguiser en agneau pour mieux rentrer dans la bergerie, et je restais discrètement sur mes gardes.
-Ne soyez pas si tendu, chevalier, et rangez cette épée que vous brandissez vers moi. Je ne vous veux aucun mal, m’assura-t-il. Et je ne pense pas que les rudiments d’arts martiaux dont vous venez de voir une brève démonstration puissent grand chose contre votre expérience du combat!
-Armarcio? Quel nom étrange! Est-ce une sorte de sortilège? Qui te l’a appris?
-Mon nom est Yam, je viens des montagnes de Pardela. Mon père m’a enseigné tout ce qu’il savait, et lui même tenait cela de son père, qui le tenait de son père, qui pour sa part le tenait de son arrière grand tante, qui avait tout appris d’un vieil ermite dont la science lui venait d’un raton-laveur qui avait été enlevé dans sa jeunesse par des extra-terrestres, mais je ne peux garantir l’authenticité de ce dernier point.
Il sembla alors remarquer la présence de Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Qu’est-il donc arrivé à cet homme?
-Ah oui, je l’avais oublié! Il nous faut absolument trouver la vieille sorcière qui est censée habiter cette forêt, sans quoi il mourra!
Yam s’approcha de Gilbérald, mon fidèle écuyer, et resta plusieurs secondes à le dévisager.
-Ton père t’a sans doute appris tes armarcios, mais il ne semble pas t’avoir appris la politesse; jeune homme! Ca ne se fait pas, de fixer quelqu’un avec autant d’insistance, simplement parce qu’il a un physique ingrat!
-Non, non, ne vous méprenez pas! Cet homme me rappelle quelqu’un, un ami de mon père. Je ne me souviens pas bien, j’étais très jeune la dernière fois que je l‘ai vu, mais je crois bien que c’est lui. Il avait l’habitude de venir nous voir au moins une fois par mois, et ils discutaient longuement ensemble.
-Ce serait un ami de ton père?! Après tout, c’est bien possible! Il ne m’a jamais parlé de ce qu’il avait fait avant d’entrer à mon service. Si j’avais su qu’il me causerait autant de soucis, je ne l’aurais d’ailleurs jamais engagé! Mais que fait ton père à présent?
Le jeune garçon baissa les yeux.
-Il est mort voilà bientôt deux ans...
J’avais, contre mon habitude, commis un impair que je m’empressai de réparer.
-Ah ah! fis-je.
-Il a été assassiné, et son meurtrier a enlevé ma mère. C’est pourquoi j’ai passé ces deux dernières années à parcourir le monde. Je n’aurais de cesse de retrouver l’assassin de mon père et de libérer ma mère de son odieuse emprise!
-C’est bien, mon garçon, d’avoir un but dans la vie! lui dis-je la main sur l’épaule.
Gilbérald, mon fidèle écuyer, qui était revenu à lui, se mit alors à crier:
-Toréador, prends garde à toi!
Yam s’approcha de lui promptement.
-Saurait-il quelque chose sur le meurtrier de mon père? C’était son ami, il m’a reconnu lui aussi malgré ses sens perturbés et il tente sûrement de me donner un indice!
-Moi, dit Roger, je crois surtout qu’il rentre dans une nouvelle phase de délire. C’est très fréquent chez les victimes de ce poison. Avec mes anciens compagnons, nous avions d’ailleurs appelé cette nouvelle phase de délire la « Nouvelle phase de délire ».
-Toréador! Toréador! criait Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Non! Non! Ce doit être le nom du meurtrier! Il essaie de m’aider malgré la fièvre qui le secoue!
Un feu intense brûlait dans les yeux du jeune homme.
-Ah mon père! Pour la première fois depuis ce jour funeste, j’entrevois une lueur d’espoir! Tu seras vengé, je te le jure à nouveau! Quant à toi, Toréador, prends garde à toi, oui, prends garde à toi! Le bras de la vengeance est en marche!
-Allons, mon garçon, dis-je. Du calme! Et n’oublie pas que le bras de la vengeance est un plat qui se mange froid.
Sans se soucier de mon appel à la retenue sans laquelle toute action est pourtant vouée à l’échec, il prit Gilbérald, mon fidèle écuyer, dans ses bras, et sans même plier sous son poids il commença à avancer à vive allure, tout en m’exhortant à le suivre
-Venez, chevalier! Je connais le refuge de la sorcière! C’est la vieille Serpillière, j’ai déjà eu affaire à elle. Elle n’est pas des plus accueillante, mais elle connaît son affaire. Nous sauverons votre écuyer!
Il quitta le chemin pour s’enfoncer dans la forêt. Son histoire ne m’avait pas paru très convaincante, mais nous n’avions d’autre choix que de lui faire confiance. Et les paroles de Merlan me revinrent à l’esprit: « tu aurais tort de ne compter que sur toi-même si tu veux aller au bout de ton périple ». Je m’en remis donc à la sagesse de l’enchanteur, et suivi de Roger, je m’enfonçai à mon tour dans les profondeurs de la forêt...


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